2025, Europe Vs USA : la tech à l'heure des choix

By Hugo LassiègeMar 23, 20259 min read

Et si demain, les américains nous coupaient l'accès à nos services numériques, ou multipliait les prix par 10 ? Ou pire, si ces services devenaient des armes contre nous ?

La question n'est pas purement théorique.

Trump vient de revenir au pouvoir aux États-Unis avec un slogan fort : America First qui préfigure un changement de doctrine important en termes de géopolitique :

Le monde n'est qu'un vaste terrain de négociation où l'Amérique doit gagner, y compris contre ses anciens alliés.

Les premiers signes sont déjà tombés :

  • Guerre commerciale sur les taxes douanières
  • bras de fer avec l'Europe, qui, selon Trump aurait été créé pour "emmerder" les US.
  • Menace directe sur l'Ukraine pour prendre possession de ces ressources ou de son nucléaire.

Trump depuis janvier, c'est aussi une rhétorique guerrière et des menaces de s'emparer du Canada, du Groenland ou du canal de Panama.

Trump, c'est également plusieurs conseillers dont les tendances suprémacistes inquiètent. Entre salut soi-disant romain (par Musk ou Bannon), remise en cause des programmes de diversité, bannissement de livres d'écoles à grande échelle, censure du monde de la recherche dès que l'on parle de climat, de femme ou de genre, attaques ciblés contre les juges, ou plus récemment le démantèlement du ministère de l'Éducation, menaces explicites de contourner les rêgles démocratiques pour permettre a Trump de tenter un troisième mandat, ou même début de la fabrication d'un culte de la personnalité malsain, le risque est grand de voir cet état sombrer dans un totalitarisme dangereux.

Avec cet état désormais hostile, notre très forte dépendance numérique inquiète.

Cette question n'est pas théorique.

Et si demain le numérique dont nous dépendons était coupé, ou retourné contre nous ?

Constat d'une dépendance

Plus de 70% du web français dépend de cloud US.

Ces clouds, majoritairement Amazon, Microsoft ou Google permettent de faire tourner plus de 85% des services numériques des entreprises du cac 40.

Et un rapport de la DINUM (direction interministérielle du numérique) explique que 45% des services numériques de l'État français s'appuient sur du cloud américain.

Les conséquences en cas de disputes avec les USA sont évidentes, l'internet Européen se transformerait en cheval de Troie.

Internet, ce n'est pas uniquement l'industrie du loisir, je pense que tout le monde serait capable de se passer de Youtube, Instagram ou Airbnb. Mais c'est aussi nos emails, une partie de notre socle bancaire, nos smartphones, notre GPS, les infrastructures qui hébergent nos données de santé... La liste est trop longue pour en faire le tour.

Maintenant, faites le test, pour vous ou votre entreprise, essayez d'imaginer ce qui se passe en enlevant tout software ET hardware américain. Que reste-t-il ?

Et pourtant une question se pose, est-ce réaliste d'être totalement autonome ?

Le mythe de l'autonomie

Pour construire aujourd'hui un téléphone, il vous faut des terres rares qui viennent peut-être de Chine, du lithium qui peut venir du Chili ou d'Australie, du Cobalt qui vient du Congo, du Tantale originaire du Rwanda.

Son écran OLED a peut être été créé par Samsung en Corée, le verre a peut-être été produit par Corning aux USA, son processeur a peut-être a été conçu aux USA par qualcomm mais construit à Taiwan par TSMC, sur des machines outils vendus par ASML venant du Pays-Bas.

Aujourd'hui, aucun pays ne saurait, seul, construire un téléphone et une grande partie de ces composants.

Dites-vous que reprendre la main sur la construction des puces qui constituent les processeurs modernes coûterait sans doute plus de 150Mds d'euros et nécessiteraient à minima une quinzaine d'années.

Et encore, les processeurs ne sont qu'une pièce du puzzle. Donc quand bien même chaque pays avait les ressources à disposition, l'indépendance totale nécessiterait d'investir littéralement des centaines de milliards et prendrait des décennies pour regagner ces savoirs faire.

Sauf qu'investir autant d'argent et de temps pour ensuite vendre uniquement sur un marché local aussi petit que la France ou même l'Europe, serait économiquement une aberration. Cela ne rembourserait jamais les investissements. Et c'est en réalité le cas pour la majorité des pays, à l'exception peut-être de la Chine et ces plus d'un milliard d'habitants ?

En un sens, c'est d'ailleurs aussi parfois une bonne chose d'avoir une interdépendance entre pays.

Ça nous force à discuter, ce qui a parfois le mérite de nous empêcher de nous taper dessus.

Sauf quand le rapport de force est trop déséquilibré.

Alors si l'indépendance totale est un mythe, ça n'empêche pas de devoir trouver un équilibre. Equilibre actuellement menacé par notre dépendance numérique.

Vers un équilibre plus favorable

20 Milliards, c'est le montant le plus récent de cet équilibre si on devait le matérialiser avec un montant.

20 Milliards c'est notre balance commerciale avec les USA en 2024.

Une balance commerciale représente schématiquement l'ensemble des biens que l'on vend à un pays, par rapport à l'ensemble des biens qu'on achète.

Et l'Europe se porte bien avec un excédent commercial sur les 20 dernières années avec les US, c'est-à-dire qu'elle vend plus qu'elle n'achète.

Quand on a une balance proche de l'équilibre, on peut peser dans les négociations. On peut éviter les conflits sur des ressources critiques.

On peut dire, "me coupe pas l'accès aux clouds, je peux te couper l'accès aux machines outils qui te permettent de construire des transistors par exemple. Et n'oublie pas que je suis un de tes premiers consommateurs aussi".

Dans le monde dans lequel on vit, avoir une économie puissante est la seule façon de se faire entendre. Car que ce soit à l'OMC, l'OTAN, l'ONU ou la COP, on écoute plus volontiers le représentant du pays qui fait 20 000 milliards de PIB que celui qui en fait 60.

Si on veut être entendu sur notre conception de la démocratie, ou notre culture tout simplement, cela repose sur notre balance commerciale.

Mais ça peut ne pas suffire.

Ça peut être insuffisant si les services numériques deviennent des portes dérobées pour déstabiliser nos démocraties, comme c'est le cas avec X, qui sert désormais à Musk, contre l'Europe, pour promouvoir des mouvements nationalistes, plus à même de détruire l'Europe de l'intérieur.

Ça peut être insuffisant si le numérique sert de moyen d'écoute à grande échelle pour espionner notre industrie.

Donc il faut continuer à renforcer cet équilibre, pas en rejetant toute dépendance, ce qui n'est de toute façon pas réaliste, mais en se créant une identité numérique européenne, des alternatives qui nous permettent d'être à la table des négociations.

Ça se construit déjà en évitant de trop grosses dépendances sur des secteurs stratégiques.
On n'a pas envie d'être dépendant sur l'énergie, la cybersécurité ou les services cloud dans lesquels on héberge des données sensibles.

Ça se construit aussi en investissant dans sa propre économie.

Si les clouds américains sont bons, c'est aussi parce que l'État américain a passé pour plusieurs centaines de milliards de commandes à Amazon, Microsoft et Google.

L'Europe doit repenser ces marchés publics pour favoriser les acteurs Européens. Ce sujet a déjà été très bien décrit ici alors, je m'épargne un article complet là-dessus, on peut résumer ceci en :

  • clarification des exigences de conformité (indiquer que la conformité aux normes EU est obligatoire)
  • favoriser les acteurs locaux en incluant des critères que seule une boîte Européenne peut satisfaire
  • utiliser la commande publique pour financer indirectement les entreprises

Ce à quoi je rajouterais :

  • relancer une politique ambitieuse de recherche (j'y reviens plus loin)
  • simplification des marchés publics pour éviter d'avoir constamment les mêmes spécialistes des appels d'offres qui répondent, au détriment des vrais spécialistes des sujets... (Cloudwatt, numergy, je pense à vous...)

Au-delà des Etats, je rappellerais que si la Silicon Valley est aussi puissante, c'est parce que toutes les boîtes sur place achètent les services des autres boîtes sur place. C'est la force d'un écosystème.

Mais, au vu du niveau d'investissement nécessaire, ce serait irréaliste de le faire financer par la seule industrie.

L'industrie doit faire des choix et anticiper les crises à venir. C'est certain. Mais elle ne peut le faire au prix de sa propre viabilité économique.

Une entreprise ne peut pas se retrouver à la traîne technologiquement et économiquement en consommant des services moins performants, quand encore ils existent.

Notre balance commerciale reste un atout. On ne peut pas sacrifier les boîtes numériques actuelles pour qu'elles financent certains secteurs, comme le cloud, parce que l'Etat a reculé devant ses responsabilités.

Parce que quand on fait ça et qu'on accepte que ces boites prennent 10 ans de retard sur leurs concurrents externes, on creuse la balance commerciale et le résultat est pire qu'avant. La dépendance est pire qu'avant.

Mais il y a peut-être des raisons d'y croire.

Nos atouts

On l'oublie souvent, mais l'Europe c'est 450M d'habitants. C'est le 4ᵉ marché de consommation et le 2ᵉ si on prend en compte le pouvoir d'achat par habitant.

Et ça, c'est une opportunité.

C'est le moment parfait pour les entreprises qui proposent des services alternatifs.

On a eu nos instants manqués dans le passé, avec Daily Motion, Qwant, Kelkoo, Deezer, ou Alcatel.
Tous ne sont pas morts, mais certains auraient pu être nettement plus gros qu'ils ne le sont.

Peut-être que c'est le moment pour faire mieux.

Et nous avons les compétences pour ça, l'Europe produit de très bons ingénieurs.

L'Europe représente 15% de la main-d'œuvre étrangère dans la Silicon Valley, avec une très bonne représentation dans les métiers de l'IA, de la cyber sécurité, ou des mathématiques appliquées.

En parlant des gens, il y a une seconde opportunité à ne pas rater.

L'avance technologique aux US s'est construite sur un exode des cerveaux européens depuis des décennies.

Des cerveaux qui ont fuit le nazisme dans les années 30 et 40.

Des cerveaux qui ont été attiré par une plus grande stabilité au lendemain de la guerre, des cerveaux qui ont été attirés par un pays dont les salaires étaient plus attractifs et enfin des cerveaux qui sont allés dans un pays qui n'avait pas peur d'investir dans la recherche.

Mais le mouvement inverse pourrait se produire.

Quand un pays s'engage dans une guerre commerciale avec toute la planète, ça va faire monter les prix donc rendre le pays moins attractif.

Les discours anti étrangers pourraient un peu chatouiller les 50% de travailleurs non américains qui bossent dans la Silicon Valley.

D'autant que les chercheurs font l'objet d'une petite chasse aux sorcières en ce moment.
Si votre sujet de recherche utilise n'importe lequel de ces mots, votre programme sera supprimé et vous risquez la porte.

Donc oui, c'est une opportunité pour l'Europe.

Par contre, pour l'Europe, au-delà de paysages somptueux, d'un coût de la vie moins élevé, ce serait pas mal qu'on soit aussi plus convaincant sur les opportunités économiques.

C'est le moment d'investir dans l'Europe.
C'est le moment de relancer la recherche en Europe.
Et pour que nos 450M d'habitants se transforment en véritable avantage, il faut penser Europe, avant de penser France, Allemagne, Italie ou Espagne.

Mais en nous mettant le dos au mur, les USA pourraient nous forcer la main et être en train de nous rendre service. Peut-être.

À nous de saisir cette chance.


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Written by Hugo Lassiège

Software engineer, ex-freelance, ex-cofounder, ex-CTO. I love building things, sharing knowledge and helping others.

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