Impacts concrets de l'IA sur les Boîtes Tech et Agences en 2025
Quels sont les vrais impacts de l'IA sur le quotidien des boites techs ? Pas uniquement les Big tech, mais les agences et les PME ?
J'ai eu l'occasion d'en discuter avec plusieurs CTO lors d'un apéro informel et je souhaite vous le partager.
L'IA fait partie des sujets chauds pour à peu près tout le monde parce que, quelque soit notre opinion dessus, c'est pas un sujet qu'on peut juste mettre sous le tapis.
Les clients en parlent, les employés en parlent (en positif ou négatif) et certains concurrents l'utilisent.
Ça a donné lieu à plusieurs discussions :
- quel est l'impact de l'IA concrètement pour une agence de dev en 2025 ?
- est-ce que c'est une bulle ? Et si jamais ça explosait ?
- comment faire adopter l'IA par ses équipes ? Est-ce que c'est un choix individuel ou est-ce que c'est une contrainte d'entreprise ?
- comment l'IA peut être nécessaire mais conduire à la nausée ?
Je vais essayer de retranscrire ces discussions ici.
Pour préserver l'anonymat des participants, les noms seront tous fictifs dans la suite de l'article.
Impact de l'IA pour une agence de dev en 2025
J'ai pu parler avec un responsable d'agence de dev (qu'on va appeler Chris) pour qui l'IA a beaucoup changé la donne avec une vraie politique d'adoption à l'échelle de la boite.
Je vais être bref pour essayer de pas dénaturer les propos que j'ai entendus :
- L'IA a eu un impact sur tous les aspects de la boite, la contractualisation, le dev, le support etc..
- L'agence fait beaucoup plus de forfaits et moins de régie. Facturer au temps passé n'a plus de sens. Désormais, il préfère largement facturer à l'impact et la valeur produite.
- Ils peuvent désormais s'engager sur des forfaits plus petits, car les marges ont augmenté et le risque a diminué
- Il commence à voir des goulots d'étranglement au niveau de ces clients. Désormais les devs vont plus vite que le client peut exprimer de besoin.
- Il commence à avoir plus souvent des équipes de 1 dev pour 1 client, ce qui est pas forcément bien pour la continuité de service. Mais d'un autre côté avec deux devs, il n'y a pas assez de boulot.
- La phase de design est plus importante, avec une bonne phase de doc pour capturer les demandes. C'est ça qui sert ensuite pour l'IA (qui participe aussi à raffiner les docs)
- Conséquence du point précédent : c'est la première fois depuis la création de la boite que autant de doc a pu être produite, avec un bon niveau de qualité.
- Il a eu des discussions avec des leads devs confirmés qui ont vu leur métier changer, et qui ont émis des doutes au début sur le fait qu'ils allaient continuer à aimer leur boulot. Mais pour l'instant ces personnes-là ont appris à aimer leur nouveau boulot.
- C'est difficile d'embaucher des juniors, car travailler avec une IA pour produire des applications nécessitent d'avoir le recul nécessaire pour savoir les coder soit-même, lire le code, voir les failles etc... Il y a une véritable mur de l'IA pour un jeune.
- Globalement l'agence fait plus de marge. Mais aussi parce que les concurrents ne s'y sont pas mis. Chris pense que ça va se rééquilibrer quand plus de concurrents auront adopté les mêmes méthodologies de travail.
- Il n'a pas de soucis à faire participer les clients et ne cache pas l'usage de l'IA. Ça reste un outil, mais c'est leurs méthodes de travail et leur expertise qui permet d'en tirer un résultat satisfaisant.
Comment faire adopter l'IA par ses équipes
Ce sujet est très riche et je l'avais déjà vu passer sur un slack.
Globalement, on pourrait formuler la question comme ça :
Certains dévs n'utilisent pas l'IA dans une équipe malgré des sessions de démo/accompagnement etc... Comment les convaincre de le faire ?
La discussion a forcément soulevé plein de sujets, mais on pourrait simplifier avec ces deux questions :
- est-ce qu'il faut forcer les gens ?
- quels sont les raisons invoquées par ces devs ?
A la seconde question, on retrouve un ensemble de raisons qu'on peut résumer en :
- considérations écologiques
- sentiment de perte d'intérêt pour le métier
- peur de perdre des compétences
Sur le premier sujet, personne n'a trop osé aller sur le terrain. J'ai moi-même pas répondu dans la discussion elle-même, peut-être par crainte d'émettre un avis un peu trop dérangeant et de passer pour le cynique de service. Mais avec le recul, je vais profiter de ce billet pour le faire. Certes, c'est un avis qui pourrait ne pas plaire, mais j'ai bien peur qu'il se réalise.
Partons de cette hypothèse : Si une IA fait en 5 minutes le boulot qu'un(e) ingénieur(e) aurait fait en plusieurs heures/jours, l'équation écologique est largement en faveur de l'IA.
Pour étayer cette hypothèse, je reprends les chiffres que j'avais déjà calculés dans un autre billet de blog :
Le temps moyen pour produire un concept art varie entre les artistes mais tourne globalement dans la quinzaine d’heures avec Photoshop. Ca représente 1500Wh, plus de 300 fois le cout avec une IA.
A tâche égale, l'IA est plus intéressante écologiquement qu'un travailleur. Evidemment, on peut répondre que oui, mais si on va plus vite, on va produire plus. Le développeur va bosser une journée complète dans tous les cas, et donc va consommer davantage sur la journée.
Oui, un dev va consommer plus. S'il ne fait que ça, ce qui est déjà une hypothèse optimiste.
Mais si l'effectif de la boite diminue de 30 ou 40%, l'équation redevient positive.
Et ça j'ai bien peur que personne ne le dise trop fort parce que les implications sont lourdes.
En fait il va y avoir deux cas de figures :
- les boites dysfonctionnelles où les gens mettent 3 semaines pour faire des tâches simples et se planquent une partie du temps à la machine à café ou dans des meetings inutiles..
Eh bien si les gens utilisent l'IA, ils passeront juste plus de temps sur le reste. Et ça fera des économies d'énergie.
Oui, c'est un peu provoc, mais je connais ces boites-là, elles existent et c'est pas du cynisme quand je dis ca...
Je vous avais dit que j'allais être piquant... - les boites qui recherchent la productivité. Ces boites vont garder les personnes les plus efficaces, mais vont réduire les effectifs, car les besoins ne suivront pas. C'est dur à entendre, je comprends. Mais ça va arriver.
J'ai bien peur que les personnes qui se mettent en défaut pour des considérations écologiques finissent par avoir gain de cause... en perdant leur emploi.
Et je précise bien que je ne le souhaite à personne. Je tire un fil de raisonnement qu'il me semble important d'aborder. Vous pouvez détester le messager. Mais c'est le message qui devrait vous intéresser.
Viennent ensuite les deux autres sujets :
- la perte de sens
- la perte de compétences
Sur les différentes discussions que j'ai eues, tout le monde semblait aller vers les mêmes conclusions : oui le métier change. C'est beaucoup plus un métier de conception, avec une grande emphase sur le design, l'architecture, la capacité à le formaliser. Il y a beaucoup de gens qui finissent par l'apprécier. Mais c'est pas le cas de tous, et c'est en partie ça qui créé les réfractaires.
Maintenant, on en arrive à la question épineuse :
- est-ce qu'il faut forcer les gens ?
Et là globalement les avis sont assez divergents entre ceux qui considèrent que ça doit être un choix personnel, comme le choix de l'IDE par exemple.
La réflexion est permise, c'est plus le côté "obligatoire" qui n'est pas justifié à mon sens. Il y a des outils qui sont des contraintes : versioning, unittesting, etc. Et d'autres qui doivent rester à la discrétion des devs : IDE, StackOverflow, Reddit, etc. L'IA pour moi fait partie de la 2ème catégorie.
Et d'autres qui considèrent que ça ne peut plus l'être, pas plus que le choix de refuser d'utiliser un outil de versioning.
Je comprends vos remarques, mais je place l'IA à un niveau différent d'un simple outil. Aujourd'hui si un dév utilise VSCode, je ne le force pas à utiliser Intellij (ou autre) mais ne pas utiliser d'IDE pour un dév semblerait assez étonnant.
J'ai pas vu de consensus se dessiner dans les groupes qui ont discuté de ce sujet. Mais une des phrases qui ressort pour moi en termes de conclusion, c'est la suivante :
Les développeurs qui ne veulent pas utiliser l'IA doivent comprendre que leur perf va être analysée en comparaison avec des gens qui, eux, l'utilisent. S'ils sont aussi performant sans, soit et sinon ils sont face à un problème qu'ils doivent résoudre de leur côté, non ?
De cette discussion est venu un questionnement : ok, mais si on bascule tous dessus et que la bulle explose, qu'est-ce qu'on fait ?
Est-ce que c'est une bulle ? Et si jamais ça explosait ?
Je trouve la question très pertinente. Qu'est-ce qui se passe dans 2 ou 3 ans si la bulle de l'IA explose comme la bulle internet en 2000 ? Est-ce qu'on sera capable de revenir en arrière sur nos habitudes de travail ?
Sur le côté "bulle", le consensus semble assez largement partagée et la période actuelle rappelle beaucoup celle de 2000.
En 2000, le simple fait de renommer son entreprise avec un ".com" pouvait faire exploser une valorisation boursière, sans que la boite fasse du web. Pour lever de l'argent, il fallait trouver lien, fictif ou pas, avec internet.
Aujourd'hui c'est pareil avec l'IA. Plus de la moitié des investissements concernent l'IA.
Je reçois des contacts chaque semaine de boite qui vont "révolutionner le secteur X ou Y" avec de l'IA.
Toutes les semaines.
Donc oui, le consensus est partagé : beaucoup d'entreprises qui surfent sur l'IA vont se planter. Et potentiellement pas que des petites. Mais il y a un second consensus, c'est que l'IA ne mourra pas avec la bulle, tout comme le Web n'est pas mort en 2000.
Au vu de l'adoption massive des outils d'assistance au code, il y a peu de chances qu'ils ne soient plus disponibles, d'autant qu'il existe déjà des modèles opensource. Et certains imaginent qu'il sera possible d'entretenir des modèles spécialisés dans le code pour moins cher que les gros modèles généralistes actuels. Une équation économique rentable se mettra en place, à minima sur cette niche.
Personne n'est devin comme l'a fait remarquer un intervenant, mais j'ai tendance à penser que la probabilité d'une disparition complète de l'IA me parait peu évidente.
Comment l'IA peut être nécessaire, mais conduire à la nausée ?
Je sais même pas si ce chapitre est vraiment nécessaire tant il paraît évident, mais tout le monde semble tout autant intrigué que victime d'indigestion sur les sujets IA. Certes tout le monde l'utilise, mais de la même facon que tout le monde utilise un clavier et c'est pas suffisant pour que ce soit le SEUL élément de la conversation.
Pourtant :
- C'est compliqué de lever de l'argent pour créer des boites sans dire qu'on fait de l'IA
- Il y a plein de pitchs de boites qui parlent constamment d'IA alors qu'en étant un minimum sérieux, il n'y a rien de crédible quand on creuse un peu.
- C'est agacant de voir des conférences techs avec 95% de conférences autour du thème de l'IA avec une certaine compétition parfois dans le brassage de vent (tuto pour débutants, sujets tirés par les cheveux etc...)
Alors oui, c'est paradoxal : c'est le sujet du moment, et en même temps tout le monde sature.
Bref, on a parlé de tout ça (pas que, je vous rassure) et j'espère que cette petite synthèse vous aura intéressé.


