1 an au Japon, le bilan
L'été au Japon, c'est le retour de la canicule, d'une humidité étouffante, mais aussi, l'heure pour moi, de faire les valises.
Je me suis installé à Tokyo l'an dernier et ça y est, c'est l'heure de faire mes adieux à cette mégalopole. Mais c'est aussi l'occasion de faire un petit bilan.
Pourquoi je suis venu ?
Qu'est-ce que j'ai adoré ?
Qu'est-ce que j'ai... moins aimé ?
Pourquoi partir ?
Pourquoi le Japon ?
Le Japon et moi, c'est un peu une longue histoire d'amour démarré dans les années 80.
Le Japon était alors ultra dominant, seconde économie mondiale, une culture rayonnante, notamment en France via les animés arrivés en masse pour pas trop cher sur les chaînes de télé.
Le Japon, c'est aussi des couleurs, une ville qui se vit autant à l'horizontale qu'à la verticale, une technologie omniprésente à travers les néons, les hologrammes, les écrans de publicité, les robots, bref, c'est une esthétique, celle que l'on retrouve dans le 5ᵉ élément, Blade Runner et tant d'autres films des années 90.
Et ça ne s'arrête pas là, fin des années 90 et début des années 2000, je faisais partie d'une équipe de fansub, une équipe de fans amateur qui sous titraient des animes japonais n'étant pas encore arrivés en France.
Bref, à la question, "pourquoi venir au Japon ?", il m'est assez facile de répondre :
Parce que j'ai été biberonné à une culture nippone que j'avais hâte de voir en vrai.
Et concrètement, comment t'as fait ?
Une fois que j'ai répondu à cette première question, la seconde qui vient naturellement, c'est : "mais comment on fait pour venir au Japon ? Est-ce que tu es venu tout seul ?"
Je suis venu en famille, avec une enfant de 15 ans.
Et... C'est difficile de venir ici.
Le premier sujet avant tout les autres, c'est la scolarité. Comment faire pour que ma fille continue son cursus scolaire ?
Or, il existe un réseau d'écoles françaises dans le monde, les lycées Français, qui permettent de suivre le programme de l'éducation nationale partout dans le monde.
Il en existe deux au Japon, à Tokyo et Kyoto.
Ok, une fois ce problème évacué, il fallait trouver un moyen de rester 1 an sur le territoire et là, les solutions étaient limitées :
- le visa de travail
- le visa étudiant
Je suis ici en visa de travail, salarié par une entreprise de portage salarial qui me refacture à Malt à qui je suis toujours rattaché.
Ma compagne est en visa étudiant, ce qui l'oblige à prendre des cours de Japonais tous les jours depuis un an.
Je ne rentre pas dans les détails, tout ça nous a pris plus de 6 mois de préparation, c'est cher, c'est complexe, mais c'est derrière nous.
Et maintenant, quel est le bilan ?
C'est vraiment dur d'écrire cette partie sans en faire des pages, donc je vais tenter de rester concis. Évidemment s'il y a des points qui vous intéressent plus que d'autres, il y a une section commentaires pour qu'on en parle.
Déjà, parlons du positif :
- La sécurité
Le Japon est très safe. C'est un pays où on ne sent jamais en risque. Je peux rentrer tard, en pleine nuit, passer par des quartiers animés ou des quartiers déserts et il ne se passera jamais rien.
C'est vrai pour moi, c'est vrai pour ma fille ou ma compagne. C'est très clairement un point qui va me manquer.
- La propreté
La propreté, c'est pas uniquement une question de services publics qui seraient plus efficaces, c'est avant tout une question individuelle.
Il y a un respect des lieux communs, pas de tags, peu de détritus, pas de dégradations volontaires, une bonne discipline sur le tri des déchets.
Je vous mets au défi d'aller dans un toilette public en France. Ici, c'est un non-évènement.
- Peu de voiture
Tokyo est une ville de piétons. Oui, c'est surprenant, mais la voiture à Tokyo est plutôt invisible.
De nombreuses rues sont piétonnes et quand elles ne le sont pas, c'est l'histoire de quelques voitures qui passent de temps en temps. Je n'ai jamais vu un embouteillage, en tout cas, pas là où je vis. Quant à l'offre de transport, elle est suffisante pour se déplacer partout dans la préfecture. C'est évidemment très loin de ce que j'ai pu vivre à Paris ou Lyon, où l'offre de transport est catastrophique et peu fiable, sans parler des problèmes de sécurité ou de propreté.
- Tokyo est une ville "pratique"
Tokyo, et le Japon en général, a fait beaucoup d'efforts de standardisation. Les maisons se ressemblent, les blocs de douche, les cuisines, les ampoules, les voitures.
Au niveau collectif, c'est un pays qui a appris à gérer des flux de personnes avec une gestion efficace des foules, des files d'attentes, des transports, de la circulation.
Il y a des cheat code partout, du sound design sur les passages piétons pour comprendre le sens de passage, des distributeurs à chaque coin de rue.
Ça mériterait évidemment des pages entières, mais ce ne serait pas forcément digeste à lire. Ce qu'il faut retenir c'est que tout est "pratique" et ça se ressent vraiment.
- Tokyo est un centre commercial géant
Tokyo est LE temple de la consommation. Des enseignes lumineuses partout, des écrans géants, des quartiers entièrement dédiés à un sujet, les habits en seconde main, l'électronique, la pop culture etc.
L'une des principales attractions touristiques, c'est finalement... faire du shopping.
Et ça marche, je n'ai jamais autant consommé dans ma vie qu'ici et pourtant, c'est vraiment loin d'être mon activité favorite.
Mais attention, c'est pas que du shopping, c'est aussi des festivals une bonne partie de l'année, de la street food, des parcs et de tas d'autres activités à portée de main. Ça peut sonner un peu artificiel, comme un centre commercial, mais ça n'en reste pas moins agréable de toujours trouver un truc à faire.
- La mer et la montagne
Tokyo, c'est une mégalopole de 35M d'habitants à côté de la mer et des montagnes.
Le réseau de transport est incroyablement développé et permet d'aller en 1h presque partout.
Mes coups de cœur proche de Tokyo ? Je dirais Kamakura, Enoshima, Kawagoe et le mont Takao ?
- Et enfin, un voisin incroyable
C'est très conjoncturel. Vous ne pourrez pas forcément reproduire ceci chez vous, mais j'ai un voisin Japonais incroyable.
De façon générale, les relations de voisinage sont importantes au Japon. Il est de coutume de se présenter, d'offrir des fruits et de se rendre service.
Mais tout ça je ne le connaissais que sur papier. Et j'ai découvert vraiment à quel point cette relation de voisinage était importante dès les premiers jours.
Nous avons été accueillis par un japonais de presque 80 ans qui est venu nous voir très régulièrement, nous a guidés dans la vie Japonaise, nous a fait découvrir de la nourriture locale en nous invitant chez lui. Tout n'a pas été facile au Japon socialement, mais cette relation nous a permis de découvrir le Japon d'un autre œil.
Maintenant, passons à ce que j'ai peut-être moins apprécié.
- une vie sociale limitée
Malgré le point précédent, vivre au Japon, avec un japonais limité et une énorme majorité de l'activité professionnelle qui ne se fait pas au Japon, c'est forcément très limitant pour rencontrer des gens.
Je me suis quand même rapproché de certains meetups, comme ceux de la French Tech. J'ai fait de super rencontres avec des personnes de l'écosystème local. Mais globalement, la vie sociale depuis un an a été très très limitée.
Évidemment si vous travaillez ici, vous vivrez sans doute une autre facette du Japon, mais attention, l'apprentissage du Japonais reste obligatoire pour une vie plus épanouie ici, car l'anglais reste rare et peu maîtrisé dans la population.
D'un autre côté, le monde du travail ici est très particulier, très éloigné des standards auxquels on peut être habitué en France, donc pas sûr que je le conseille vraiment... (typiquement le genre de point que je ne détaille pas, mais on peut en discuter en commentaire).
- des intéractions de surface
Au-delà de la barrière de la langue, il y a au Japon une certaine "mise en scène" des interactions de la vie quotidienne.
Tout est codifié pour privilégier l'harmonie collective et éviter les situations inattendues ou gênantes.
Et ça se ressent assez fort, dans la façon de parler, dans la façon d'interagir, il y a toujours une certaine forme d'acting (le tatemae) qui finit par lasser un peu.
- Une société conformiste
Pour faire la suite du point précédent, la société Japonaise est extrêmement standardisée et laisse peu de part à l'expression personnelle, même l'excentricité est codifiée.
On privilégiera toujours l'harmonie du groupe ce qui crée une forme de chape de plomb assez étouffante sur l'individu.
Dans le même registre, cette extrême standardisation ne permet pas d'ailleurs pas de s'intégrer réellement dans la société japonaise. Même après des dizaines d'années, un français sera toujours vu comme un français, car il ne s'agit pas "juste" de standardiser les comportements, l'origine ethnique compte.
- la bouffe
Ça va sans doute surprendre du monde mais, j'ai été assez frustré de la nourriture ici.
C'est incroyable sur les premiers 15 jours, mais passé cette période, j'ai fini par trouver le nombre de saveurs limité.
Il y a un usage assez restreint des légumes, des aromates, des fruits dans la cuisine locale. En bon français, l'absence de bons fromages m'a rapidement manqué et la gastronomie locale tourne beaucoup autour de la viande ce qui rend la vie difficile pour les végétariens. D'ailleurs même si l'offre carnée est importante, on ne retrouve "quasiment" que 3 types de viandes disponibles (bœuf, porc, poulet) et quasiment tout le temps préparé de la même façon.
Évidemment, on se fait aussi à manger, mais les supermarchés sont assez petits et les produits sont assez souvent les mêmes donc il y a peu de possibilités de diversifier son alimentation.
Et je vais vous dire un secret, j'ai peur de choquer mais... Je crois que les meilleurs plats Japonais que j'ai mangés, c'était en Europe :)
Ce qui n'est pas spécialement surprenant puisqu'ils sont adaptés, modifiés, fusionnés pour plaire à une population qui n'apprécierait pas forcément les mêmes saveurs.
- l'espace
35M d'habitants. Je ne sais pas si vous vous représentez ce que ça fait ?
Il y a un sentiment permanent de manquer d'espace. Le métro est bondé, les maisons sont petites, il y a du monde partout donc on passe beaucoup de temps à attendre (file d'attente pour les expos, les boutiques, les restos, les cafés etc...). Même lorsqu'on va à la montagne ou à la plage, il y a du monde.
J'ai quitté Paris il y a des années pour fuir le monde, alors forcément, je savais que je retrouverais ce problème ici, ce n'était évidemment pas une surprise.
Maintenant, c'est à nuancer, si on évite les gros quartiers comme Shibuya, Ikebukuro ou Shinjuku le week-end, on peut éviter le pire. Mais, ça n'en reste pas moins un endroit où on peut se sentir constamment "étouffé".
- Des villes... fonctionnelles mais...
Je l'ai dit, les villes ici sont "pratiques". Tokyo est un centre commercial géant.
Ce qui lui confère une certaine beauté baroque.
Mais, ça peut ne pas plaire à tout le monde. C'est une forme de beauté en soi. Mais je préfère sans doute les belles rues Haussmanniennes de Paris, le vieux Strasbourg, la rue de la République à Lyon et tous les petits villages typiques de France. La France est moins pratique, c'est sûr, mais possède un patrimoine incroyable en termes d'architecture et d'histoire qu'elle a tendance parfois à sous-estimer.
Mais surtout, on va parler des choses qui fâchent, tous les clichés sur les japonais ne sont pas toujours vrais.
Les Japonais suivent les règles... ou pas
Il est temps de faire tomber le mythe, non les Japonais ne suivent pas toujours les règles. Ou tout du moins, ça dépend…
Et on va prendre plusieurs anecdotes, la dernière étant la pire vu qu'elle m'a coûté assez cher...
Au Japon, on respecte globalement certaines pratiques, en apparence.
Par exemple, oui, personne ne traverse au rouge sur les passages piétons.
Sauf... s'il suffit de faire 5 mètres pour aller vers le centre de la rue, quasi déserte. Et dans ce cas, tout le monde traverse.
La question principale, c'est souvent de faire "comme les autres".
Par exemple, les dépassements de vitesse sur la route, c'est pas tant une question de compteur kilométrique que de savoir si vous allez plus vite que les autres. Si tout le monde roule à 70 sur une route à 60, il n'y a aucun souci.
Un autre exemple, on vous dit que les Japonais sont très disciplinés dans le métro et qu'ils font des files d'attente pour patienter.
C'est vrai. Mais quand les portes s'ouvrent, c'est plus délicat... Et même lorsque les files restent disciplinées, dès qu'on tombe sur les heures d'affluence, le métro devient une zone de non droit et d'irrespect.
Il peut y avoir une certaine violence dans la façon de pousser dans le métro. J'ai vu des quarantenaires pousser violemment, et sciemment, des personnes âgées ou des femmes. Ma compagne a vécu quelques micro agressions très désagréables.
Evidemment, ça n'arrive pas autant aux hommes... Surprenant n'est-ce pas ?
Il faut savoir qu'il existe des wagons women only parce que, au delà de ces agressions physiques, la proximité des transports permet à certains d'être un peu trop tactiles...
Bref, le métro est une zone de non droit.
Mais la pire anecdote m'a couté un peu plus de 1000 euros...
Nous étions sur le départ lorsque l'agence de location qui gère mon bien m'envoie une facture à régler pour le jour d'après.
Cette facture correspond au nettoyage après ma location.
Problème :
- ce cout n'avait jamais été évoqué
- Le prix est délirant (1600 euros). Jamais personne ne paie ce prix-là pour faire nettoyer un appartement.
- Le fait de me prévenir 1 semaine avant le départ, pour un aussi gros montant qui sort du chapeau.
Bref, ça ressemble à de l'extorsion.
Évidemment, premier réflexe, je me suis demandé si c'était dans le contrat de location que j'avais signé en entrant. Si c'était le cas, même si l'agence avait négligé de me le dire et que le contrat est entièrement en Japonais, ça serait ma faute de ne pas avoir lu le contrat.
Et effectivement, on parle des frais de nettoyage dans le contrat.
Sauf que... c'est indiqué que c'est au propriétaire de le payer.
Contractuellement, c'est indiqué que je ne dois pas les payer.
C'est la règle dans la métropole de Tokyo.
Et la réponse a été :
oui, c'est marqué ca, mais en pratique on fait différemment du contrat.
Bref, "je m'en fous..."
La discussion s'est apparemment poursuivie ensuite puisqu'on m'a rapporté des propos indirects :
- c'est chiant de bosser avec des étrangers
- je vais les emm*** lors de la signature de sortie et je leur ferais payer plein de pénalités
Bref, est-ce que les Japonais suivent les règles ? Est-ce qu'on peut avoir confiance dans les contrats ici ?
Non.
Et on peut trouver des gens malhonnêtes partout.
Et donc, le bilan ?
Si la dernière anecdote racontée plus haut me reste particulièrement en travers de la gorge, c'est malgré tout pas ce que je retiens du Japon.
On a passé une année incroyable, aussi dépaysante qu'on peut s'y attendre d'une année au pays du soleil levant. Ça reste une claque culturelle qui permet, comme d'habitude, quand on est confronté à la différence, de s'enrichir et de s'ouvrir.
Ça a été l'occasion de faire de super rencontres, à l'école de Japonais par exemple, dans le milieu de la tech locale, avec mon voisin japonais qui s'est occupé de nous dès le début.
C'était évidemment une année incroyable pour ma fille parce que Tokyo est une ville faite pour une adolescente de cet âge. Il est facile d'y être autonome, d'avoir des activités sympas et les lycées français sont très cosmopolites avec des jeunes qui viennent des quatres coins du monde.
Professionnellement, j'ai aussi élargi mon horizon en découvrant un écosystème tech plus orienté hardware et devices physiques que logiciel.
Bref, c'est positif. Mais... j'ai hâte de rentrer.
Partir dans un autre pays, c'est aussi une façon de mieux apprécier son propre pays. C'est se rendre compte de ce qui nous manque.
Et mine de rien, même si j'ai beaucoup à redire sur la France, eh bien, c'est un pays que j'aime avec une diversité ethnique et culturelle, une offre gastronomique, des paysages à couper le souffle, et une beauté architecturale qu'on retrouve facilement dans chaque ville.
Alors peut-être que, passé un certain âge, c'est difficile de réinitialiser complètement ses habitudes pour apprécier à sa juste valeur une culture aussi radicalement différente.
Je reste bien sûr amoureux du Japon et même si j'ai fait une longue liste de points négatifs, ce serait faux de croire que c'était une surprise.
À part un ou deux points, je m'attendais à tout ce que j'ai trouvé.
Je connaissais les difficultés de la société japonaise et je cherchais justement à les découvrir en personne.
Dans tout les cas, nous avions prévu de rester une seule année. C'est l'inverse qui aurait été surprenant.
Et je sais également qu'il est impossible de trouver le pays parfait. Il est impossible de piocher ce qui nous plait dans un pays pour le mettre dans un autre. Parce que, ce qu'on ne comprend pas toujours, c'est que les défauts d'un pays, sont souvent le reflet de ces qualités.