French startup bashing ?

By Hugo LassiègeJul 17, 20248 min read

French startup bashing épisode 2 456 165 894.

Faut qu'on parle de ce tweet

En première lecture, c'est une énième attaque contre l'écosystème startup tech.

On a le droit au classique vocabulaire "dopé à l'argent public" qui sous-entend qu'aucune startup (française) n'est légitime, que toutes sont dépendantes de subventions, mais qu'elles n'auraient jamais fonctionné sans ça.

C'est corroboré plus loin par la petite phrase qui tue :

Le modèle de la Start-Up nation et de la licorne ne marche pas en France, je le dis depuis 10 ans

Bref, c'était annoncé, les startups, c'est de la mer... et voilà la preuve.

Mouais. C'est allé un peu vite en besogne.

Tarik Krim

Ce serait très simpliste, et faux, de dire que Tarik Krim ne connaît rien à l'écosystème tech. Il est loin d'être un novice. Il a créé Netvibes et Jolicloud. Il a bossé à San Francisco et a fait partie du conseil national du numérique (c'est en plus tellement rare que le conseil national du numérique comporte des spécialistes du numérique, que c'est à saluer...).

Tarik a une vision assez souverainiste de la tech, qui n'est pas absurde d'ailleurs. La tech est un outil politique. C'est un outil de Soft Power.
En 2022 je l'avais vu dans une keynote et il anticipait une scission de l'internet mondial en blocs géopolitique. On ne peut pas dire que l'actualité actuelle lui donne tort.

Bref, j'ai du respect pour ce qu'il a fait et ce qu'il raconte.

Par contre, j'ai peut-être un peu de mal avec les raccourcis faits dans ce tweet, et, pour être franc, pour une partie de son plaidoyer fait au sein de son think tank.

Je vais revenir là-dessus plus bas. Mais déjà, parlons de ces fameuses startups "dopé à l'argent public".

La BPI et les startups "dopé à l'argent public"

Je peux difficilement évacuer la question de la BPI et de Doctolib avant d'aller plus loin.

Oui, Doctolib a bénéficié d'argent de la BPI. La BPI (banque publique d'investissement) investit dans les startups au travers de deux entités :

  • Bpifrance Financement, qui fait notamment des prêts (donc qu'il faut rembourser)
  • Bpifrance investissement, qui fait de l'investissement en capital risque (financement en échange de parts de l'entreprise)

Ce qui va nous intéresser ici, c'est la banque d'investissement et une question centrale : Est-ce que l'état donne de l'argent à perte via la BPI ?

Selon le communiqué de presse de la BPI, en 2023, la performance annuelle était de 14.3%. (+7.4% annualisé depuis 2013).

Ce chiffre me parait intéressant, à mettre en regard de toutes les personnes qui constamment parle de l'argent injecté à perte par la BPI. C'est pas le cas. Les fameuses "startup dopée à l'argent public", c'est des gains pour l'état (en plus des emplois, de la valeur ajoutée etc...).

Les valorisations boursières et la crise de la tech

Là où Tarik Krim a raison, c'est qu'effectivement, ce n'est pas impossible qu'il y ait des gros soucis de dévalorisation des licornes françaises à l'avenir.

Pour ça il faut comprendre comment on valorise une entreprise tech. C'est un sujet que j'ai déjà abordé sur Youtube, notamment ici

en parlant de Malt ou ici
et j'y évoquais, comme Tarik la fin d'un âge d'or.

Une startup non-côté en bourse a une valorisation fixée par les investisseurs. Ces investisseurs se basent sur le chiffre d'affaires et un multiple.

Par exemple, mettons qu'une entreprise tech fasse 100M de CA, si le multiple est de x10, alors l'entreprise est valorisé 1 Milliard.

Pourquoi x10 ?

Une entreprise tech est valorisé pour son potentiel futur. C'est un pari qui dit que cette boite, grâce à la technologie qu'elle développe, pourra faire x10 par rapport à son CA actuel.

Ce chiffre, il ne sort pas totalement du chapeau, il est calculé en fonction des performances passée d'entreprise dans le même secteur.

Mais, entre 2020 et 2022, beaucoup d'argent a été injecté dans l'économie pour contrer les effets de la crise liée au Covid. Cet argent s'est retrouvé massivement injecté aussi dans la tech. Ça a fait augmenter les multiples et créé une bulle.

Depuis 2022 on assiste à un dégonflement de cette bulle.

En plus de ça, les performances des 10 dernières années ont été très largement boostés par des taux d'intérêts historiquement bas. Et c'est en train de changer. Nous assistons à une fin de cycle, et ce n'est pas uniquement en France, c'est partout.

Là encore je vous renvoie à ma vidéo Youtube dont je parlais plus haut :
Nous sommes sur une fin de cycle, l'argent coute plus cher et de nombreuses sociétés sont passés d'un paradigme autour de la croissance à tout prix, à un nouveau paradigme où il va falloir être rentable très vite.

Doctolib, comme beaucoup de startups, va viser la rentabilité. Pour ça, il va falloir fortement réduire ses investissements (Doctolib semble avoir fait pas mal de rachat de boites récemment), et peut-être réduire la masse salariale.

Pour rappel, c'est arrivé partout sur la planète. Le site layoffs.fyi parle de 263 000 licenciements dans la tech en 2023 et déjà 107 000 depuis début 2024.

Est-ce que ça veut dire, comme l'affirme Tarik Krim, que "Le modèle de la Start-Up nation et de la licorne ne marche pas en France". C'est un raccourci facile.

Déjà, les difficultés actuelles ne concernent pas que la France.
Ensuite, le modèle des startups est par définition risqué. C'est 1 gagnant pour des centaines de perdants.
Enfin, l'économie mondiale subit des crises (inflation, climat, guerre) qui ont forcément un impact.

Donc utiliser cet évènement pour remettre en cause l'ensemble de l'écosystème tech français depuis 10 ans. Oui, je trouve que c'est un raccourci très simpliste.

La Tech en France depuis 10 ans

Le bilan de la tech en France sur 10 ans, c'est 22 licornes.

Et c'est pas, comme le dit Tarik, que des boites qui font du e-commerce et des marketplaces, ce qui en soit est d'ailleurs très bien aussi...

Il y a des boites dans la data, l'IA, les NFT, les jeux vidéos, les crypto, l'assurance, la musique, des fintech et j'en passe.

L'écosystème quand j'ai commencé à bosser et aujourd'hui n'a rien à voir. On n'est plus dans un monde où on a les ESN d'un côté et les boites du CAC 40 de l'autre. Il y a beaucoup d'alternatives tech intéressantes.
Le marché de l'emploi a été dynamisé par ces entreprises et les salaires ont pu augmenter, même s'il y a encore du chemin.
On a même un (petit) retour d'ingénieurs Francais depuis les US et on voit émerger une scène IA dynamique (Mistral par exemple).

Bien sûr que tout n'est pas rose. Bien sûr qu'il y a des crashs, et qu'il y en aura d'autres. Créer une boite qui passe de 0 à 1000 en 10 ans, c'est vraiment difficile et même là, on peut encore échouer.

Sans parler que créer une boite en France, c'est loin d'être simple :

  • parce qu'il n'y a pas d'investisseurs capables de mettre des centaines de millions en France et donc qu'à terme si tu veux viser un marché mondial, tu dois aller voir des investisseurs US
  • parce que la France a un marché intérieur trop petit et que l'Europe est un enfer en termes de déploiement. Il faut repartir de 0 dans chaque pays.

Mais globalement, eh bien c'est mieux qu'avant. On a fait des progrès.

Bref, dire que ça ne marche pas depuis 10 ans et ça ne marchera jamais, c'est avoir une lecture très orientée.

Maintenant, pourquoi dit-il ça ?

Encore une fois, Tarik est loin d'être un novice donc il a un message à faire passer derrière. Il est à l'initiative d'un think tank souverainiste : cybernetica
(Le premier nom de ce site était codesouverain)

Il y défend un soutien plus fort aux PME tech et un modèle moins élitiste et plus inclusif.

Mais pareil, je suis un peu mitigé. Il y a beaucoup de contradiction dans son billet :

  • une remise en cause de l'investissement public, et en même temps une incitation à faire plus de commande publique (tout en disant que c'est pas suffisant)
  • une mise en valeur d'un terroir de PME (sous-entendu petites entreprises) et en même temps, on comprend entre les lignes qu'il a pris conscience de l'importance géopolitique des géants de la tech.

Donc, on fait quoi concrètement ?

Mais je reste curieux. Je partage son point sur l'inclusivité.
Je suis évidemment pour une prise de conscience de l'ensemble des acteurs francais qu'il est préférable économiquement d'investir sur des boites Francaises (je dirais Européennes pour ma part). Et d'ailleurs, c'est pas en faisant des tweets négatifs sur les startups françaises que ça y contribue...

Encore une fois, j'ai beaucoup de respect pour lui et je ne peux qu'aller dans son sens sur l'objectif "d’une vision humaniste et apaisée du numérique" mais j'ai l'impression qu'on est un peu éloigné sur les moyens pour y arriver.


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Written by Hugo Lassiège

Software engineer, ex-freelance, ex-cofounder, ex-CTO. I love building things, sharing knowledge and helping others.

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